Il y a un manque de juristes en France en 2022. Des causes structurelles et conjoncturelles expliquent la pénurie à laquelle sont confrontées les entreprises qui cherchent à recruter un manager juridique pour une mission ou pour un CDI. Plus généralement, c’est l’ensemble du marché du travail qui est concerné par un bouleversement inédit. Dans un contexte proche du plein emploi, les conséquences du Covid se font encore plus fortement ressentir : quête de sens, perte d’attractivité des grandes métropoles, essor du télétravail… D’après les dernières données de la DARES (Direction de l’animation, de la recherche, des études et des statistiques), 470 000 Français ont abandonné leur CDI au 1er trimestre 2022… Soit 20 % de plus qu’au 4e trimestre 2019, juste avant la pandémie ! Rien de comparable avec la « Grande Démission », observée aux États-Unis où 23 % de la population active a démissionné en 2021… Mais le signe d’un mouvement de fond auquel les entreprises doivent s’adapter. Et celles qui recrutent des managers juridiques n’échappent pas à la vague. Arnaud Desclèves, fondateur de Desclèves & Associés, et Marie-Pierre Dambly, Directrice associée Recrutement d’IMfinity, analysent cette insuffisance de juristes en France.
Quels constats dressez-vous à l’heure actuelle ?
Arnaud Desclèves : Tous les profils de juristes sont sous tension. Tous les juristes juniors, tous les juristes middle et tous les juristes seniors rencontrent les mêmes difficultés, à tous les niveaux d’ancienneté. Cela se traduit de manière très simple et concrète : à l’heure actuelle, toutes les sociétés du SBF 120 disposent de postes à pourvoir dans les directions juridiques, et ce parfois depuis plusieurs mois.
En ce qui nous concerne, les profils juniors fraîchement diplômés ont tendance à se tourner vers un CDI plutôt que vers du management de transition. Extrêmement sollicités, ils n’ont aucun mal à décrocher un emploi. Du coté des middle – avec 5 à 7 ans transition juridique. Quant aux profils plus seniors, sur des domaines très spécialisés, ils sont également devenus bien plus rares. À titre d’exemple, avant la pandémie, pour une mission dans une entreprise du CAC 40, nous pouvions proposer facilement 7 ou 8 excellents CV de spécialistes en fusion acquisition. Aujourd’hui, nous parvenons à 3 maximum.
Marie-Pierre Dambly : Les mêmes difficultés se rencontrent au niveau des mandats pour des postes en CDI. Avant la pandémie, une short-list était composée généralement d’environ 3 candidats ; il n’est plus rare de proposer un seul et unique candidat à une entreprise. À titre d’exemple, les trois dernières misions que j’ai réalisées l’ont été avec un seul candidat. L’une des explications ? Les clients recherchent les mêmes profils avec le même niveau d’expérience (5/7 ans) et les candidats sont en position de force pour choisir. Les bons candidats ont d’ailleurs plusieurs offres.
Concernant les candidats senior, en général des Directeurs Juridiques, ils profitent des programmes d’outsourcing ou de coaching pendant plusieurs mois, afin de bien définir leurs attentes avant de prendre un nouveau poste. Cependant, le marché des Directeurs Juridiques est un marché très étroit et très concentré sur Paris et la région parisienne. Il y a plus de candidats que de postes notamment parce qu’il y a peu de mobilité.
Quelles sont les autres raisons de ce nombre limité de juristes ?
AD : La première est structurelle. La France ne forme pas suffisamment de spécialistes du droit. Le numerus clausus dans ces filières provoque les mêmes conséquences qu’en médecine : une pénurie de professionnels qui se ressent fortement dans les entreprises. De plus, à l’inverse des États-Unis qui disposent de nombreuses universités mondialement reconnues pour leurs cursus juridiques, la France ne compte qu’une poignée de grandes facultés renommées. Les étudiants brillants qui ne les décrochent pas préfèrent se tourner vers d’autres cursus et leur talent échappe ainsi à la filière droit. La pénurie est particulièrement marquée dans certains domaines : compliance, données personnelles, gouvernance des sociétés cotées, droit de la concurrence… L’émergence de spécialités nouvelles liées à la numérisation de la société et la judiciarisation des entreprises n’expliquent pas tout : la France manque de professionnels du droit.
M-PD : La deuxième raison trouve ses origines dans l’attractivité des postes proposés. Même s’il est évident que la fonction de juriste a considérablement évolué ces dernières années – tout juriste est un business partner et n’est plus un empêcheur e tourner en rond – cette reconnaissance acquise ne semble plus suffire. La tentation des start-ups et de l’entrepreneuriat contribue grandement au taux d’attrition auquel nous faisons face. Les viviers de professionnels se raréfient. Et ceux qui décident de s’éloigner quelques années du métier s’en trouvent définitivement exclus : les recruteurs excluent encore très souvent les profils qui ont choisi de faire une pause, ce qui alimente la pénurie.
AD : La troisième raison est financière. En entreprise, ces métiers ne sont pas assez valorisés dans la grille de rémunération aux yeux des candidats. C’est particulièrement vrai à Paris. Paradoxalement, la loi de l’offre et de la demande ne s’est pas encore vérifiée et l’attrition constatée n’a pas – pour le moment – provoqué de hausse des salaires.
Quelles réponses apporter à cette situation de pénurie de juristes ?
AD : D’abord, il s’agit d’accompagner et d’écouter candidats et managers. Quelles sont leurs attentes ? Leurs aspirations ? Avec nos programmes de coaching, nos cours de langues et le suivi de notre vivier, Desclèves & Associés propose un accompagnement complet pour former des managers augmentés, capables de s’adapter à toutes les situations, et surtout de choisir leur poste en leur âme et conscience. Notre expertise reconnue les rassure et les met en confiance. Face à un marché transformé, nous faisons bénéficier les managers de notre savoir-faire pour construire ensemble des parcours qui répondent à toutes les attentes.
Nous continuons à disposer d’un vivier de candidats et de managers qui correspondent aux profils recherchés par nos clients. Grâce à notre réseau et notre connaissance extrêmement fine de notre écosystème, nous restons en mesure d’identifier des profils en phase avec l’essentiel des exigences. Néanmoins, les clients doivent aussi apprendre à faire évoluer leurs pratiques. Face à l’attrition, ils doivent d’abord définir le plus finement possible leur besoin. Ensuite, il faut savoir se décider vite et ne pas laisser attendre plus de 48h un candidat : la situation du marché ne laisse pas le temps à l’hésitation si le profil correspond !
M-PD : Face à la pénurie, nous en appelons justement à l’intelligence situationnelle du client. Le candidat ne correspond pas à 100 % au profil recherché ? Il doit pouvoir déceler ses capacités, ses forces et son potentiel face aux missions qui seront confiées. Souvent, il faut aussi faire évoluer ses pratiques : accepter le travail en distanciel, proposer des modalités plus attractives, voire envisager une rémunération plus élevée.
Les candidats ont une vive conscience de leur employabilité dans ce marché extrêmement concurrentiel. Confier sa recherche à des professionnels aguerris, fins connaisseurs du marché et à l’écoute des deux parties pour trouver les meilleures solutions possibles : c’est un gage de réussite pour tous. La preuve ? Malgré cette tension sur le marché, Desclèves & Associés a un taux de transformation sur le recrutement élevé !
Les spécialistes du marché des juristes en France : leur biographie
Arnaud Desclèves
Depuis 1991, Arnaud Desclèves exerce dans les métiers les plus exigeants du droit, notamment au sein de cabinets d’avocats d’affaires tels que Gide, Ernst & Young et Salans, dans les domaines de la fiscalité et des fusions–acquisitions. Responsable juridique des activités de banque d’affaires, puis du business développement de BNP Paribas et enfin Directeur Juridique du groupe Wendel, il fonde en 2009 un cabinet innovant entièrement dédié au Legal as a Service (Direction Juridique Externalisée) pour des ETI et des fonds d’investissements.
Depuis 2015, il fait de son cabinet d’avocats le leader du Management de Transition spécialisé en Juridique. Arnaud Desclèves est avocat à la Cour d’Appel de Paris.
Il est diplômé d’HEC et titulaire d’une maîtrise en Droit des Affaires et Fiscalité, d’un DEA en Droit Privé de l’Université de Paris II Panthéon-Assas et du diplôme de l’Institut de Droit Public des Affaires.
Marie-Pierre Dambly
Après une dizaine d’années d’expérience en cabinet d’avocats puis en entreprise, notamment sur des opérations d’acquisitions, restructurations, joint-ventures et financements pour des groupes internationaux en cabinet d’avocats d’affaires à New York et à Paris, Marie-Pierre Dambly rejoint en 1999 le métier du conseil en recrutement, spécialisé dans le domaine juridique et fiscal. Elle a notamment développé une offre de recrutement juridique et fiscal au sein du cabinet Hudson, laquelle couvrait un large éventail de prestations de conseil à destination des grands cabinets d’affaires et des directions juridiques. En 2013, elle a poursuivi son activité à travers sa propre structure. Puis, en 2020, Marie-Pierre Dambly s’est rapprochée d’IMfinity pour créer le département dédié au recrutement juridique permanent.
Elle est titulaire d’un Joint-Degree in French and English Law du King’s College London, du CAPA et d’un troisième cycle en droit économique et des affaires de l’université Panthéon-Sorbonne.